Brigitte Challande, 16 septembre 2025. Suite à la terrible offensive israélienne sur Gaza-ville, carnage énoncé sur toutes les radios, Abu Amir envoie le suivi des derniers développements dans la bande.
« Dans la bande de Gaza, en particulier dans le centre et le sud, la vie semble se retirer des mains des habitants à une vitesse vertigineuse, laissant derrière elle des images de chaos et de souffrance insupportables. Depuis de longues semaines, le mouvement de déplacement massif ne s'est pas interrompu : des centaines de milliers de familles contraintes de fuir Gaza-ville ont afflué vers les zones centrales et méridionales, à la recherche d'un lieu plus sûr ou d'un abri provisoire qui puisse les protéger de la dureté des nuits et des frappes incessantes.
Mais ce qu'elles ont trouvé n'était rien d'autre qu'une foule étouffante dans les rues et sur les places, où les routes principales et secondaires se sont transformées en camps humains en mouvement, occupant le sol avec des tentes usées ou des bâches en plastique qui n'offrent qu'un maigre abri. Beaucoup de ces tentes ne sont même plus disponibles sur le marché, et ceux qui ont réussi à s'en procurer ont dû payer des sommes qualifiées de folles, les prix ayant été multipliés plusieurs fois suite à l'interdiction imposée par l'occupation sur l'entrée de tentes et de bâches en plastique.
La scène dans les rues est presque incroyable : de petits véhicules de transport chargés des affaires des déplacés - valises, matelas, meubles éparpillés, parfois même des oiseaux ou du bétail emportés des maisons détruites -, le tout entassé dans un désordre total. Certains camions sont bloqués à cause de la destruction des routes, d'autres abandonnés faute de carburant. Cet encombrement inédit a conduit à une paralysie quasi totale de la circulation : il faut désormais des heures pour passer d'un quartier à l'autre, et parfois cela devient tout simplement impossible.
Au milieu de cette réalité brutale, la population souffre d'une pénurie extrême des besoins essentiels. Les denrées de base comme la farine, l'huile, le sucre, le lait et les légumineuses sont désormais vendues à des prix exorbitants que la plupart des habitants ne peuvent se permettre. Les marchés, lorsqu'ils ouvrent, ne fonctionnent que quelques heures avant de fermer à cause des bombardements ou de l'épuisement des stocks. L'eau potable est devenue elle aussi rare, les stations de pompage étant hors service en raison des frappes, des coupures d'électricité ou du manque de carburant. Le système d'assainissement, quant à lui, s'est effondré sous la pression du nombre massif de déplacés, menaçant de provoquer à tout moment la propagation de maladies et d'épidémies.
Sur le plan sanitaire, les hôpitaux et les cliniques sont au bord de l'effondrement total : les médicaments essentiels sont épuisés, les équipements médicaux sont soit endommagés, soit inexistants, et le carburant nécessaire au fonctionnement des générateurs est si rare que l'électricité et l'eau sont devenues un luxe accessible seulement quelques heures par jour.
Les tentes, qui représentaient une solution provisoire au problème du déplacement, sont devenues une crise en soi : leurs prix ont atteint des niveaux sans précédent, qualifiés de « fantastiques ». Les familles qui n'ont pas pu en acheter vivent désormais à ciel ouvert ou sous les décombres de murs effondrés, tandis que beaucoup ont dû improviser des abris de fortune avec des couvertures sur les bords des routes ou dans les cours des écoles. Ces abris ne protègent ni du froid nocturne, ni des pluies et n'offrent ni intimité ni sécurité.
Dans la ville de Gaza, la situation est encore plus dramatique. Les bombardements ne s'arrêtent ni le jour ni la nuit, les frappes aériennes tombent en continu sur les quartiers résidentiels, réduisant les bâtiments en ruines en quelques secondes. Les explosions ne laissent aucun répit, et presque chaque rue connaît l'effondrement d'un immeuble ou d'une tour résidentielle. Rien que ces dernières semaines, des centaines de tours ont été détruites, parmi elles de hauts immeubles de plusieurs dizaines d'étages. Cette destruction massive s'est accompagnée d'un nombre sans précédent de morts et de blessés : plus de soixante mille Palestiniens ont péri depuis le début de l'agression, selon le ministère de la Santé, tandis que les hôpitaux reçoivent chaque jour des centaines, voire des milliers de blessés, sans pouvoir leur offrir les soins nécessaires. Beaucoup de blessés sont étendus au sol ou dans les couloirs en attendant leur tour, tandis que les corps s'entassent dans les coins faute de places ou de réfrigérateurs suffisants.
La faim et la maladie aggravent encore la tragédie : des centaines de décès dus à la malnutrition ont été enregistrés, notamment parmi les enfants, les femmes enceintes et les personnes âgées.
L'impact psychologique et social de la guerre n'est pas moins cruel que l'aspect matériel. Les mères disent adieu à leurs enfants à chaque bombardement, les enfants ne connaissent plus le sommeil sans le bruit des explosions, et les jeunes qui ont perdu leurs maisons et leur avenir vivent avec l'espoir fragile qu'un lendemain meilleur soit possible. Même les rituels humains les plus simples, comme l'enterrement des morts, ont changé : de nombreuses victimes sont enterrées dans des cimetières improvisés, creusés dans les places et les rues, faute de pouvoir atteindre les cimetières officiels. L'éducation est totalement interrompue, les écoles ayant été transformées en abris surpeuplés de déplacés, privant des générations entières d'enfants de leur droit le plus élémentaire à l'instruction.
Quant à ce qu'on a appelé les « zones humanitaires » ou « zones sûres », comme Al-Mawasi à Khan Younès, elles n'ont apporté que plus de désillusion. Ces zones, même si elles sont moins ciblées par les frappes, manquent d'eau, de médicaments et d'abris adéquats, et débordent de foule et de désordre, ce qui les rend incapables de protéger les civils ou d'assurer une vie digne.
Les autres services de base ne sont pas en meilleur état : l'électricité est coupée la plupart du temps, l'eau contaminée se déverse dans les maisons et les camps, tandis que l'assainissement est totalement effondré. Le secteur de la santé est quasiment paralysé, l'aide humanitaire étant entravée par les politiques de blocus et la fermeture répétée des points de passage, tandis que les convois de secours restent bloqués ou même ciblés. Les quartiers totalement détruits regorgent encore de disparus sous les décombres, les équipes de secours étant incapables de les atteindre à cause de la poursuite des bombardements ou de la destruction des routes.
Tous ces éléments incarnent une seule réalité : ce qui se passe à Gaza n'est pas une crise passagère qu'on peut surmonter, mais une catastrophe humanitaire globale qui touche tous les aspects de la vie. Les civils y vivent sans abri, sans nourriture suffisante, sans eau potable, sans soins de santé, et sans véritable espoir à l'horizon. Ils dorment sur les ruines de leurs maisons, rêvent seulement d'un moment de silence ou d'un jour sans bombardements, tout en continuant à s'accrocher à la vie malgré la douleur et les pertes.
Gaza aujourd'hui est une plaie ouverte devant le monde, un témoignage vivant d'une souffrance qui dépasse toute description. »
Retrouvez l'ensemble des témoignages d'Abu Amir et Marsel :
*Abu Amir Mutasem Eleïwa est coordinateur des Projets paysans depuis 2016 au sud de la bande de Gaza et correspondant de l'Union Juive Française pour la Paix.
*Marsel Alledawi est responsable du Centre Ibn Sina du nord de la bande de Gaza, centre qui se consacre au suivi éducatif et psychologique de l'enfance.
Tous les deux sont soutenus par l'UJFP en France.
Pour participer à la collecte « Urgence Guerre à Gaza » : HelloAsso.com
Les témoignages sont également publiés sur UJFP, Altermidi et sur Le Poing.